LENS (carnet de route)

LENS
Malgré ma surdose de déplacements sportifs effectués lors de la saison 2008/2009, je m’étais dit, voire promis, que je complèterai cette année mon tour de la France du football en suivant l’OGC Nice à Lens, nouveau promu. Lens, le stade Bollaert, ses corons, ses trompettes… On a beau dire et se moquer (un peu), je ne veux pas mourir avant d’avoir connu ça au moins une fois dans ma pauvre existence.
Il est donc 16h04 en ce samedi 12 décembre 2009 lorsque, pour la première fois de ma vie, je pose le pied sur le sol lensois. Certes, le froid est saisissant mais il ne pleut pas. C’est étonnant comme le niçois ne peut s’empêcher de faire des remarques sur le climat de tous les coins qu’il visite.
Un coup d’œil sur l’horizon me permet déjà de distinguer, tout au loin là-bas, deux collines noires et pointues. « Bienvenue sur la terre du charbon », semblent-elles murmurer. Pourtant, elles seraient presque plus accueillantes que le décor que la ville offre au voyageur au sortir de la gare puisque les façades des premiers bâtiments visibles sont en ruines.
Pour des raisons économiques et pratiques, je choisis un hôtel à proximité de la gare. Forcément, mes critères de choix ne sont pas de nature à multiplier les étoiles sur la devanture de l’auberge. À la réception, c’est avec un sévère accent ch’ti qu’un couple discute de la récente défaite lensoise dans le derby l’ayant opposé à Boulogne sur Mer. « C’était un match arrangé, n’est-ce pas monsieur ? » me questionne-t-on. « Peut-être est-ce simplement la magie du football… » me contentai-je de répondre.
Je récupère ma clé et grimpe péniblement les escaliers usés qui grincent sous le poids de mes pas bien trop lourds. Au deuxième étage, le plancher me parait étrangement irrégulier. Un sol que j’imagine facilement se dérober lâchement sous mes pieds. Je quitte rapidement ces lieux en espérant que dehors, tout ne sera pas aussi inquiétant que cette vieille baraque qui s’effrite (une spécialité locale).
Alors que les quartiers situés aux abords des gares sont généralement animés, Lens échappe à la règle. Je suis surpris par le calme et le silence qui règnent. Peu de circulation, quelques piétons, de rares commerces, voilà pour le tableau général. Aurais-je surestimé la grandeur de la ville ? Une impression qui se confirme lorsque je consulte le plan. Alors que le stade me semble éloigné de la gare, quelques minutes de marche me suffisent pour apercevoir le toit des tribunes de Bollaert cachées derrière une haie de frênes.
Je traverse une grande esplanade terreuse servant de parking, puis longe une ruelle qui me conduit directement devant l’entrée d’un magasin aux couleurs sang et or. Si le nombre de supporters se mesure à la taille de la boutique officielle du club, le RC Lens figure dans le tiercé de tête, sans contestation aucune. Lorsque j’arpente ses rayons, j’ai même le sentiment de me retrouver dans un supermarché pour les pénibles courses hebdomadaires.
A côté de la boutique, une agence d’intérim sang et or à la probable recherche de quelques supporters sans emploi souhaitant garnir la longue liste des travailleurs précaires.
Je déambule ensuite nonchalamment aux alentours du stade jusqu’à l’allée Marc-Vivien Foé, nommée ainsi en souvenir d’un éléphant ivoirien mort sur le champ de bataille. Guère rassuré par ce coin sombre et désert, je continue mon chemin sans me retourner.
A quelques pas de là, je me retrouve dans une ruelle où de tristounettes maisonnettes en briquettes s’alignent gentiment et sobrement. Elles pestent probablement contre le voisinage autoroutier et ferroviaire qui leur pourrit la vue et la vie depuis trop longtemps…
Eprouvant le besoin de revenir à des visions plus footballistiques, je décide de revenir vers le stade afin de découvrir enfin à quoi ressemble l’antre des lensois.
Lorsque, pour la première fois, je pose mon regard sur Bollaert, je suis plutôt impressionné par ces quatre immenses tribunes couvertes qui entourent la pelouse. A défaut de modernisme, cette enceinte respire l’authenticité et la simplicité, des valeurs en parfait accord avec l’image de la ville. La taille des tribunes peut aussi surprendre au regard du nombre d’habitants : 50 000 places pour 35 000 âmes lensoises, il doit probablement s’agir d’un record du genre.
Mon estomac criant famine, je me dirige vers la traditionnelle buvette. Alors que je me renseigne sur les mets chauds, le gars m’informe que seuls des sandwichs froids sont disponibles. Constatant mon air déconfit, il me lance : « Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?  Si vous voulez, je vais vous chercher un sandwich américain avec une saucisse de Bergues, comme dans le film ! ». Mes papilles en ébullition, je remercie chaleureusement l’aubergiste pour sa bienveillante générosité.
Alors que ce matin j’étais au pays de la pissaladière, me voilà ce soir en plein territoire nordiste, mordant avec ardeur dans un morceau de pain chaud et moelleux bourré de frites et de saucisse blanchâtre sacrément épicée, le tout arrosé d’une bière locale. Dépaysement garanti et cholestérol assuré !
Lorsque les deux équipes entrent sur le terrain, le Kop lensois déploie ses drapeaux et ses écharpes. Ajouté aux maillots du club largement portés, la terne tribune se colore tout à coup de sang et or. Une sorte d’embrasement qui réchauffe probablement le corps de certains supporters aux torses étonnamment nus.
Durant le match, les 30 000 spectateurs apprécieront bien évidemment les deux buts marqués par leur équipe favorite et leur assurant une victoire sans gloire. Sans être exceptionnelle, l’ambiance est agréable avec, en point d’orgue, la reprise de la célèbre chanson des Corons par tout un stade lors de la mi-temps. Au nord, c’était les corons. La terre, c’était le charbon. Le ciel, c’était l’horizon. Les hommes, des mineurs de fond.
Le coup de sifflet final sifflé, les supporters s’éparpillent rapidement. Les uns regagnent leur voiture alors que les autres remplissent les bars de la ville afin de fêter, la pinte à la main, la victoire du soir.
Le lendemain matin, Lens retrouve son calme. Cette ville semble vivre dans un coma régulièrement entrecoupé par des jours de match qui viennent perturber le cours trop régulier d’un encéphalogramme trop plat.
Lorsque mon train quitte la gare dans la brume matinale, à travers la vitre épaisse de la fenêtre du wagon, je croise à nouveau le regard d’une colline de charbon me demandant de ne pas être trop sévère avec une ville qui a tant souffert et dont les habitants ont dans le cœur un soleil qui fuit désespérément leur ciel.

SG